Requiem pour L’Instant Lyrique de Rachel Willis-Sorensen à l’Éléphant Paname
Sa voix est à la fois immense et souple, elle peut tout faire,
Olyrix
La soprano américaine Rachel Willis-Sørensen, après ses débuts en France dans le récital Vienne avec Jonas Kaufmann au TCE et avant la trilogie Mozart-da Ponte à Bordeaux, devait donner un récital parisien, elle nous le narre :
“Nous sommes entrés dans la Twilight Zone, la 4ème dimension avec cette pandémie et ses menaces sur l’économie mondiale” nous raconte Rachel Willis-Sorensen, qui nous explique vivre désormais sur l’argent économisé, “et puis je travaillerai dans un restaurant (rires)”. Après l’annulation de son Instant Lyrique à l’Éléphant Paname de Paris, Rachel Willis-Sorensen se rendait à Dresde pour un autre spectacle (évidemment annulé) alors “nous avons dû conduire avec ma famille, à la dernière minute, bifurquer avant minuit pour pouvoir nous réfugier au Danemark d’où vient mon mari. Mes enfants n’en parlent pas la langue mais en ce moment, ils n’ont pas droit aux contacts avec les autres enfants de toute manière.”
La soprano américaine était pourtant appelée dans les plus grandes maisons européennes, et beaucoup en France, elle avait même prévu de s’installer pour plusieurs mois (au moins) à Bordeaux où doit se tenir la Trilogie Mozart-da Ponte en mai-juin.
L’Instant lyrique et cette Trilogie ont pu inviter Rachel Willis-Sorensen notamment grâce à Julien Benhamou. Directeur de la coordination artistique et du casting à l’Opéra National de Bordeaux, Conseiller artistique de L’Instant Lyrique à l’Éléphant Paname, il nous raconte l’avoir entendue pour la première fois à Londres en 2012, elle remplaçait au pied levé Kate Royal dans Les Noces de Figaro, elle avait 27 ans, “dès qu’elle a ouvert la bouche, j’étais impressionné ! En 2014, j’ai fait mes devoirs comme toujours en écoutant chacune et chacun des 40 candidats au Concours Operalia, j’étais sûr qu’elle l’emporterait, sans discussion possible.
Sa carrière a pris la direction du répertoire allemand, puis je l’ai retrouvée à Londres où elle chantait Donna Anna. Le chef Marc Minkowski pouvait tout lui demander, ajouter des ornements, des contre-ré.” (On imagine alors son éventuel contre mi-bémol conclusif du “Sempre libera” dans La Traviata qu’elle interprétera pour la première fois à Bordeaux à la rentrée).
“Sa voix est à la fois immense et souple, elle peut tout faire, ce qui a donc rendu -paradoxalement- compliqué le choix des morceaux pour son récital Instant Lyrique à l’Éléphant Paname.”
La chanteuse qui était impatiente de proposer ce programme (qui sera certainement reporté) l’avait ainsi composé avec Julien Benhamou et l’équipe de l’Instant Lyrique (le pianiste Antoine Palloc, le Directeur Richard Plaza, et Sophie de Ségur). La richesse des styles et des langues était unifiée par un thème, à commencer par Ain’t it a Pretty Night de Carlisle Floyd puis C’était un rêve (“Var det en drøm”) pour la grande mélodie finlandaise avec Jean Sibelius, après Le premier baiser (“Den første kyssen”), avant Morgen de Strauss, le cycle de Britten On This Island, Seascape, Nocturne, que j’aime beaucoup. Il devait enfin y avoir un extrait du Trouvère (Tacea la notte placida), et l’Ôde à la lune de Rusalka.
Et puis des bis, en français : “J’adore chanter en français, une langue que j’admire et à laquelle je veux rendre honneur, que j’ai eu le plaisir d’apprendre, de travailler, de perfectionner (encore avec ma prise du rôle de Valentine), même si’l est si difficile de le prononcer -et de le chanter- j’ai tant travaillé le mot fuyez !
Quand vous chantez en allemand, vous pouvez doubler les consonnes et cette prononciation déclamatoire plaît beaucoup, plus vous articulez mieux c’est, alors qu’en italien, vous pouvez changer le sens si vous accentuez trop la prosodie. Je pensais que le français, langage si fluide, était comme l’italien mais il ressemble en fait en cela à l’allemand, la diction active est un plus.
Le français est mon langage préféré, par la couleur des voyelles, lyriques, le langage le plus musical ! Je chante l’italien aussi “à la française”, avec des voyelles résonantes et plus sombres. Callas faisait ainsi, Jonas Kaufmann fait ainsi. J’admire profondément les valeurs culturelles que la France offre au monde, et son répertoire, les deux sont liés également comme la dichotomie dans Thaïs, magistrale illustration de l’opposition entre la loi et l’esprit de la loi !”
C’est l’un des rôles que Rachel Willis-Sorensen voudrait prendre, avec la trilogie des reines de Donizetti. À suivre, y compris dans l’Hexagone.
Retrouvez notre compte-rendu du récital Vienne avec Rachel Willis-Sørensen & Jonas Kaufmann au Théâtre des Champs-Élysées